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Un mercredi chargé... pour une joie parfaite !

Rencontre entre les Eglises au sujet de la prostitution

Dix heures du matin, nous arrivons à la maison diocésaine pour participer à une nouvelle rencontre entre les Eglises, organisée par le service diaconie. Depuis plus d'un an, nous prenons régulièrement le temps de nous rencontrer pour essayer de mieux comprendre ce monde obscure de la prostitution, pour partager nos expériences et nos rencontres, et pour tenter d'apporter un soutien aux personnes victimes des réseaux. Ces réunions œcuméniques sont une grâce, et cette unité dans l'action et la prière nous permet de prendre des forces et de ne pas nous décourager. C'est grâce à ces rencontres que nous avons lancé les Tournées du Cœur début février, pour aller auprès des personnes en situation de prostitution chaque mercredi ! Et hier encore, nous avons projeter d'aller un peu plus loin pour combattre ce fléau. Les axes sont clairs :

  • Informer nos concitoyens de la réalité, battre en brèche les idées reçues et permettre un changement de regard.
  • Créer un lieu d'accueil en journée pour permettre aux personnes de se poser, de rencontrer des bénévoles, de déposer leurs soucis.
  • Alerter les prêtres et pasteurs pour avoir un accueil bienveillant, lorsque les personnes viennent dans leurs églises.
Toutes ces actions nécessitent des moyens humains et financiers, et bien sûr un soutien dans la prière. Nous les mettrons progressivement en oeuvre, avec la grâce de Dieu, et avec votre précieuse aide.

Dîner du cœur

Quinze heures, il faut se dépêcher pour aller récupérer les provisions à la banque alimentaire. C'est un travail dans l'ombre, mais indispensable pour nous permettre de préparer le dîner à partir de 18h30. Chaque mercredi, deux bénévoles se dévouent, et mettent leur bras à contribution pour transporter palettes et glacières, soigneusement préparées par les bénévoles de la banque alimentaire. Nous touchons ici à la complémentarité des actions de solidarité, et sachez donc qu'en soutenant la banque alimentaire notamment lors des collectes en grande surface, vous nous permettez de préparer de bons repas à nos invités !

Ce soir notre chef cuisinier habituel n'est pas là, mais son suppléant prend le relais avec brio ! Après une salade composée en entrée, nous dégustons des wraps : c'est un franc succès ! Et après le fromage, nous fêtons avec l'arrivée du dessert, les trente ans d'ordination du prêtre qui nous accompagne régulièrement depuis deux ans. Merci pour votre présence et pour votre fidélité ! Et bien sûr, et c'est devenu une habitude, l'un de nos invités pousse la chansonnette et nous entraîne tous à sa suite : "Dans les prisons de Nantes, Y avait un prisonnier ..."

Nous terminons le dîner par un temps de prière. Ce soir, nous demandons à l'Esprit Saint de nous accompagner sur nos chemins de vie ; le prêtre lit un passage sur la Pentecôte et nous donne quelques clés pour accueillir ce don de Dieu ; puis nous nous confions à la Sainte Vierge Marie en chantant. 

Tournée du cœur

Vingt-deux heures, nous partons en tournée. Nous sommes quatre bénévoles ce soir, et la météo est favorable ce qui n'est pas un simple détail ! Nous rencontrerons une vingtaine de filles au total, que nous connaissons pratiquement toutes maintenant. Certaines ne sont pas disponibles, et nous demandent poliment de ne pas rester. Nous nous éloignons, et nous repasserons la semaine prochaine sans oublier de prier pour elles. Mais pour la majorité, l'accueil est bienveillant, nous sommes attendus avec de larges sourires ! La nuit est calme, nous prenons de leurs nouvelles, soucieux de la violence qu'elles subissent, de leur nécessité vitale d'avoir des clients pour rapporter de l'argent, et de leurs enfants qui vivent en France ou au pays d'origine. Oui, ces filles du trottoir sont aussi des mamans aimantes, qui ont besoin d'argent pour nourrir leur famille. Inlassablement, de semaine en semaine, nous prions ensemble autour d'une petite bougie : en roumain, en anglais, ou en français, nous confions les intentions des filles. Pour trois d'entre elles : avoir des papiers français, de l'argent, et un autre travail ! Bref, changer de vie ! Nous nous sentons bien impuissants, et n'avons d'autre secours que Dieu et la Sainte Vierge Marie.
La semaine dernière, nous avions la chance d'avoir un prêtre qui est venu tourner avec nous, et l'une des filles revue ce soir nous dit spontanément qu'elle a été très honorée de sa présence ! Merci pour votre témoignage, représentant du Christ, lumière dans la nuit ! Nous distribuons encore quelques chapelets offerts gracieusement par un bénévole. 

Il est une heure du matin, nous n'avons pas pu effectuer l'intégralité de notre parcours, nous ne pourrons pas voir toutes les filles, et nous ne sauverons pas le monde. C'est une évidence que nous devons intégrer. Trois heures par semaine, c'est si peu, mais c'est notre limite qu'il nous faut accepter car le réveil du jeudi matin pour aller travailler est une épreuve pour chacun de nous ! Mais à la suite de Mère Térésa, nous savons que pour changer le monde il ne faut en réalité que deux choses : "D’abord, moi, et puis vous". 

"Votre peine se changera en joie"

Ce matin, un prêtre nous a demandé lors de la réunion à la maison diocésaine quel était notre ressenti lors de ces tournées. J'ai apporté une témoignage forcément personnel et c'est étrange, mais ma première réponse fut la joie !

Et pourtant une immense douleur envahit mon cœur quand je pense à ses filles. La douleur car au fil des rencontres nous plongeons dans leur quotidien : la violence de certains passants qui les insultent ou leur lancent des objets, la malhonnêteté de certains clients qui rackettent les filles pour récupérer leur argent après une passe, les luttes de territoires entre les réseaux, et bien sûr, l'obligation de racoler pour aller chercher le client ! L'envers du décors est terrifiant : c'est la vente de leur corps contre leur gré, avec en plus, l'obligation de faire croire qu'elles travaillent par plaisir. Ce sont des viols, rémunérés quand les clients sont honnêtes, mais des viols quand même car il n'y a pas de consentement réciproque, des viols sous nos yeux, dans notre ville.

Et pourtant la joie est bel et bien là également, quel sentiment étrange ! Le sourire d'accueil puis les rires lors de nos discussions, les pas de danse qu'elles entament au rythme de la musique sortie de leurs téléphones, la flamme vacillante de notre petite bougie qu'elles tiennent précieusement dans leurs mains, leur foi extraordinaire malgré tout ce qu'elles subissent : voilà la joie qu'elles nous transmettent ! Ce sont elles qui nous portent, de rencontre en rencontre, qui comblent nos cœurs de simples bénévoles, de serviteurs inutiles. Le Christ nous a promis cette joie : "Amen, amen, je vous le dis : [...] vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie." (Jean 16, 20).

Se mettre au service de celles qui étaient appelées autrefois maladroitement les "filles de joie" nous comble effectivement d'une joie véritable et authentique. 

Article écrit par Rodolphe, le 12 mai 2016