Préparation
Il est 21h30, nous nous retrouvons tous ensemble autour d’une icône de Marie, Mère de l’Emmanuel, pour un temps de prière partagé entre ceux qui ont participé au dîner habituel du mercredi soir, et ceux qui partent pour la première « Tournée du Cœur ». Dorénavant, chaque semaine, à la suite du dîner, certains d’entre nous iront à la rencontre des personnes en situation de prostitution de 22h à 1h du matin dans les rues de Grenoble.La veille, nous étions une petite quinzaine à nous être réunis pour préparer et lancer ce deuxième pôle d’activités de notre association. Nous ne connaissons rien du monde de la prostitution, mais nous avons pu grâce au service diaconie du diocèse de Grenoble-Vienne, rencontrer à plusieurs reprises des travailleurs sociaux et une association évangélique qui nous ont fait un état des lieux précis de la situation locale. Les personnes concernées sont des victimes de réseaux de traite des êtres humains. Elles sont presque toutes nigérianes ou d’Europe de l’Est, ne parlent quasiment pas français, et sont sous emprise intellectuelle ou spirituelle de leur proxénète. Soyons clairs, elles ne sont pas là par choix, elles sont exploitées, esclaves de leur proxénète, pour assouvir les pulsions de nos concitoyens contre un peu de cash, aux pieds de nos immeubles, aux coins de nos rues.
En route
Nous sommes cinq bénévoles, trois hommes et deux femmes, vêtus d’un t-shirt blanc par-dessus nos vêtements chauds pour être facilement identifiables, et nous partons en voiture, sur les coups de 22h, en direction du cours de la Libération. Les questions trottent dans nos têtes : comment se présenter ? Qu’allons-nous nous dire ? Comment allons-nous être accueillis ?La veille, nous avons acté le principe de réaliser nos premières tournées les mains vides ! Nous n’avons donc rien à leur offrir, pas même un café, pour être sûr de ne pas les « acheter ». Nous espérons pouvoir entrer dans une relation gratuite, d’égal à égal, dans l’acceptation de nos pauvretés réciproques. Ce sont elles, les personnes rencontrées, qui nous feront part progressivement de leurs besoins.
Première rencontre
Au bout de quelques minutes de voiture, nous apercevons une jeune femme, à un arrêt de bus. Elle attend dans le froid, s’abritant pour éviter autant que possible la pluie glacée. Nous stationnons un peu plus loin, et trois d’entre nous partent à sa rencontre, pendant que les deux autres restent en retrait. Nous nous présentons, ainsi que l’association, et elle se présente à son tour. L’accueil est chaleureux, et notre appréhension s’estompe en quelques secondes. L’échange commence en français, mais rapidement l’anglais s’impose, à sa demande. Elle vient du Nigéria, comme la moitié des filles que nous rencontrerons ce soir, et n’est pas à Grenoble depuis longtemps. Nous lui demandons si elle croit en Dieu, ce à quoi elle répond qu’elle est chrétienne. Nous lui proposons de prier un instant avec nous : elle est surprise, et décline. Ce n’est ni l’endroit, ni le moment, et nous rappelle gentiment qu’elle doit rapporter de l’argent. Nous lui proposons alors de prier pour elle, et là, son visage s’éclaire. Nous allumons une petite bougie au milieu de la nuit, et nous récitons un « Je vous salue Marie » en français. Ne comprenant pas la signification de notre prière, elle nous demande de traduire… et dès les premiers mots, elle reconnaît la prière de Marie, et nous accompagne dans un « Hail Mary, full of grace » que nous récitons ensemble jusqu’au bout. Nous implorons pour elle la bénédiction de Dieu, puis nous nous séparons.
Douze
Nous continuons notre tournée jusqu'à Saint Martin d’Hères, en traversant les grands boulevard, puis vers la gare en passant par le rectorat. Nous sommes bien accueillis, mais le temps d’échange est très limité : d’une part nous ne nous connaissons pas encore, et d’autre part à cause de la barrière de la langue et de la présence des proxénètes qui surveillent. Notre proposition de prière est acceptée avec le sourire par la majorité des personnes rencontrées. L’une d’elles nous paraît très jeune, probablement une quinzaine d’années, voire moins. Une autre ne veut pas prier avec nous, mais nous regarde prier pour elle quelques mètres plus loin… Son téléphone a sonné à deux reprises au moment où nous nous présentions. En réalité, nous nous apercevons que son « mac » est à quelques mètres, dans une voiture. Nous nous éloignons pour ne pas la mettre en difficulté. Nous recroiserons le proxénète un peu plus tard : nous allons devoir apprendre à nous côtoyer.Nous rencontrerons une douzaine de filles ce soir, du Nigeria et d’Europe de l’Est principalement. Nous plongeons dans ce monde de misère au cœur de notre beau pays ; dans ce monde de la nuit où l’argent achète tout jusqu’à l’innocence d’une adolescente, où derrière un maquillage et une tenue provocatrice, se trouve notre sœur esclave, qui n’a pas le choix d’être là.
Il est près de 1h du matin quand nous rentrons à notre camp de base : nous confions une dernière fois les personnes rencontrées à notre Mère du Ciel avant de nous séparer dans la nuit.
Que le Seigneur les bénisse et les garde !
Que le Seigneur fasse briller sur elles son visage,
qu’Il se penche vers elles !
Que le Seigneur tourne vers elles son visage,
qu’Il leur apporte la paix ! (Nb 6, 24-26)
Article écrit par Rodolphe, le 4 février 2016